Le Renard Déchaîné spécial
Cour des Comptes Rapport Spécial EPSO
Un processus de sélection largement inadapté
Le rapport que vient de rendre la Cour des Comptes sur l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) confirme les écueils maintes fois dénoncés par R&D depuis des mois, voire des années.
Le manque d’attractivité des institutions européennes, le recrutement à des grades de base malgré des expériences professionnelles confirmées, la création de nouvelles filières de recrutement aussi critiquables que le Junior Professional Programme, la difficulté pour les collègues agents contractuels d’avoir des perspectives d’emploi de long terme, la loterie engendrée par les concours internes… autant de problèmes clairement identifiés depuis longtemps par R&D qui montrent que le système de recrutement est inadapté aux besoins des Institutions et particulièrement à la Commission européenne.
Avec le rapport spécial sur EPSO que vient de rendre public la Cour des Comptes, le constat se confirme une fois de plus.
Depuis 2003, les concours de recrutement sont organisés par EPSO, office interinstitutionnel, en coopération avec les institutions.
Le processus de sélection organisé par EPSO existe sous sa forme actuelle depuis 2012 avec des concours généralistes de grande ampleur (administrateurs publics, juristes, économistes, linguistes, assistants de secrétariat…) et des concours spécialisés dont sont issus 42 % des lauréats recensés entre 2012 et 2018. Ce processus comporte trois phases : la planification, l’évaluation des candidats et la publication des listes de réserve. Les épreuves varient d’un concours à l’autre, mais les phases de chaque concours sont généralement similaires avec présélection (tests psychométriques sur ordinateur), examen des dossiers de candidature, évaluateur de talents pour certains concours, centre d’évaluation où sont évaluées les aptitudes et compétences prédéfinies, liste de réserve.
Chaque année les institutions de l’UE recrutent, parmi plus de 50.000 candidats quelque 1000 nouveaux agents permanents pour une carrière à long terme.
Les profils de généralistes représentaient 37 % des demandes de lauréats au cours de la période 2012-2018, les linguistes 20 %. Au fil des ans, on constate une baisse des profils de généralistes. Ces dernières années, la demande de traducteurs a enregistré une baisse marquée en raison des progrès technologiques ainsi que des décisions de recourir davantage à l’externalisation. Le contexte de recrutement dans les institutions a changé depuis l’élaboration et la mise en œuvre du programme de développement d’EPSO. Depuis 2012, les listes de réserve de la plupart des concours organisés par EPSO comportent moins de 20 lauréats. On peut dès lors s’interroger sur le coût de tels procédures.
1. La marque « EU Careers », créée en 2010 dans le but d’augmenter l’attractivité de l’UE en tant qu’employeur, n’a pas rempli son objectif, tant sur le plan géographique que socio-économique
D’une part, il apparaît que la marque « EU Careers » reste très concentrée sur Bruxelles et Luxembourg et est peu attractive au-delà sur le plan géographique.
Il apparaît que 37 % des personnes ayant répondu aux enquêtes réalisées à la sortie de centres d’évaluation d’EPSO ont déclaré avoir un lien direct avec les institutions, soit parce qu’elles étaient déjà employées par l’une d’entre elles, soit parce qu’elles travaillaient dans le secteur public et exerçaient des fonctions en rapport avec l’UE. Quelle que soit leur nationalité, les deux tiers des candidats passent les tests de présélection en Belgique ou au Luxembourg.
La marque « EU Carrers » n’est pas parvenue à attirer un nombre suffisant de diplômés universitaires ou de jeunes professionnels.
Les candidats à des concours AD5 ont souvent une expérience professionnelle et la proportion des candidats âgés de moins de 35 ans est en baisse. Seulement 22% des fonctionnaires AD recrutés récemment ont moins de 35 ans et 62 % ont plus de 40 ans. Ces fonctionnaires avaient déjà au moins 10 ans d’expérience professionnelle au moment où ils ont rejoint les institutions, une durée très supérieure à celle généralement requise pour les grades des concours.
En 2019, la moyenne d’âge d’entrée à la Commission pour les fonctionnaires AD était de 39 ans. Pour le dernier concours généraliste AD/2018, la moyenne d’âge des lauréats était de 31,5 ans. Actuellement moins de 4 % des effectifs de la Commission a moins de 30 ans.
Il en découle que le recrutement de personnes expérimentées à des postes de débutant est préjudiciable à la pyramide des âges des effectifs et à la gestion des carrières.
Et face à ce déséquilibre, certaines institutions comme la Commission ont lancé leurs propres programmes « Juniors professionnels » au mépris des règles d’égalité de traitement et en ouvrant la porte au favoritisme.
2. Un processus de recrutement inadapté en ce qui concerne les spécialistes
Toutefois force est de noter que l’organisation régulière de concours de grande ampleur a globalement contribué à garantir la disponibilité d’un nombre approprié de généralistes susceptibles d’être recrutés. Mais en ce qui concerne les spécialistes (par exemple linguistes spécialisés, administrateurs spécialisés en macroéconomie ou en technologies de l’information et de la communication…), le processus d’EPSO n’est pas adapté aux besoins actuels des institutions.
D’une part, le processus de sélection d’EPSO est trop long, d’autre part, il est trop coûteux pour ce type de concours. Aussi les institutions préfèrent-elles lancer leurs propres procédures de recrutement qui durent en moyenne huit mois contre treize mois pour EPSO, donnant toute latitude pour utiliser les types de tests qu’elles jugent nécessaires, et optent alors pour le recrutement d’agents temporaires plutôt que des fonctionnaires.
Tous profils confondus, le coût moyen par lauréat pour les concours généralistes s’élève à quelque 24.000 €. Ventilé par groupes de fonctions, ce coût est de 25.000 € par lauréat AD, de 21.900 € par lauréat AST et de 15.300 € par lauréat AST-SC, sachant que les tests de présélection coûtent entre 48 et 92 € par candidat, selon le concours.
Pour les concours spécialisés, le coût est très variable selon le nombre de candidats et de lauréats. Etant donné que ce dernier est en général très faible, les moyennes des coûts sont élevés : près de 30.000 € par lauréat pour les juristes-linguistes AD7 (26 lauréats pour 1170 candidats), voire près de 40.000 € pour les interprètes de conférence AD 5 et AD7 (13 lauréats pour 573 candidats).
3. Les faiblesses du processus de recrutement
Les tests psychométriques ne servent pas uniquement à évaluer l’aptitude des candidats à l’emploi, mais aussi, de fait, à éliminer une partie d’entre eux afin de faciliter la gestion de la procédure de concours. Il faut savoir que lorsque ces tests sont utilisés, 16,5 % des candidats en moyenne renoncent au concours avant de passer ceux-ci. Le taux de réussite (ratio entre le nombre de lauréats et le nombre d’inscrits ayant présenté au moins le 1er test) est de 2 %. Le processus est donc très concurrentiel. Mais il n’existe aucun mécanisme permettant de mesurer la satisfaction des institutions par rapport aux candidats recrutés.
Le nombre restreint de langues pouvant être utilisées pour certaines parties du processus de sélection est source d’insécurité juridique. Des actions en justice ont entraîné l’annulation de concours (sans pour autant annuler les listes d’aptitude) et la suspension des activités d’EPSO pendant une bonne partie de l’année 2016. Le régime actuel n’a pas été annulé par décision de justice, mais les limitations linguistiques ouvrent la voie à de nouveaux recours juridictionnels.
Enfin, les concours sont tributaires de la disponibilité des membres du jury, ceux-ci étant désignés à parité égale entre l’administration et la représentation du personnel. Or toutes les parties éprouvent des difficultés à trouver du personnel compétent et disponible pour siéger dans un jury de concours. Non seulement un manque de coopération entre EPSO et les institutions en est la cause, mais l’absence totale de reconnaissance des travaux dans l’intérêt du service ne facilite pas l’engagement du personnel dans ces tâches. De plus, les managers sont souvent réticents à libérer leurs agents les plus performants pour assurer ces tâches.
Conclusion
Face à ces problématiques, la Cour des Comptes a émis plusieurs recommandations auxquelles R&D souscrit pleinement :
1) remédier aux faiblesses décelées dans le processus de sélection,
2) mettre en place un nouveau cadre de sélection pour les concours spécialisés,
3) améliorer la capacité d’EPSO à s’adapter à un environnement de recrutement en mutation rapide.
R&D demande à ce que ces recommandations s’insèrent dans le cadre plus général de la stratégie HR. Il s’agit en effet de développer une approche holistique de la question du recrutement et non pas d’inventer des procédures de type rustine comme le JPP ou la sélection d’agents temporaires pour pallier à des problèmes spécifiques car, au-delà du recrutement c’est toute l’évolution de carrière qui est mise en cause.
A cet égard, R&D rappelle son attachement aux principes de base de la fonction publique : égalité de traitement entre les candidats, concours avec des épreuves anonymes. R&D a toujours œuvré en ce sens en permettant à tous les candidats potentiels de se former, et ceci gratuitement car il ne s’agit pas d’une affaire de « business » sur le dos des collègues.
Non, l’avenir de tous ceux qui se dédient au service public européen est une affaire trop importante pour qu’elle ne soit pas enfin sérieusement réformée.
Cristiano Sebastiani,
Président